Largage de moustiques stériles par drone dans un but sanitaire
Des largages massifs de moustiques-tigres stériles ont été testés au Brésil pour lutter contre ces insectes, vecteurs de plusieurs maladies comme la dengue, le chikungunya ou encore Zika.
Des essais seront aussi menés en France où l’invasion du moustique, ces dernières années, fait craindre l’apparition de nouvelles épidémies.
À quelques dizaines de mètres au-dessus d’un village brésilien, le drone commence son largage. Des moustiques-tigres mâles (Aedes Aegypti) par milliers évoluent dans les airs et se répandent, ce qui pourrait passer pour une attaque biologique d’un nouveau genre est en fait une expérience scientifique.
Objectif : réduire les populations de moustiques
Les femelles des espèces concernées sont vectrices de maladies redoutées comme la dengue, le chikungunya ou encore Zika. Cette opération, inédite, a été dirigée par Jérémy Bouyer, chercheur à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) en Autriche en collaboration avec plusieurs équipes étrangères et le Cirad de Montpellier. Elle s’est déroulée à Carnaíba do Sertão, un petit village du nord de l’État de Bahia. Les chercheurs ont utilisé la technique dite de l’insecte stérile.
Un principe simple : Un lâcher de moustiques mâles stériles
Il s’agit de lâcher dans la nature des mâles issus d’un élevage et qui ont été stérilisés par une exposition à des rayons X. Au moment de la reproduction, ils entrent en compétition avec les mâles sauvages. Mais les femelles qui se seront accouplées avec les individus stériles ne produiront que des œufs non viables. Ainsi, plus il y aura de mâles stériles, moins il y aura d’œufs viables, ce qui conduira à l’effondrement de la population de moustiques et donc à un blocage de la chaîne de transmission des maladies portées par l’insecte. Mais pour que cela soit efficace, il faut répandre environ dix mâles stériles pour un mâle sauvage
Les contraintes des grandes surfaces
Autre contrainte : il faut couvrir des surfaces souvent vastes. C’est là que le drone devient particulièrement intéressant. Jusqu’à présent, ces lâchers se faisaient depuis le sol, ce qui limitait la dispersion des insectes et demandait d’importants moyens humains. Le drone permet, littéralement, d’asperger la zone grâce à des survols bien définis. Mieux, l’opération peut être entièrement automatisée.
Mais ce n’est pas tout. Les chercheurs ont conçu un système assez sophistiqué pour larguer en masse les moustiques, sans les blesser, ce afin qu’ils soient en forme pour assurer face à leurs rivaux sauvages. Les insectes sont effectivement entassés par dizaine de milliers dans un réservoir refroidi à 10°C, une température à laquelle ils sont complètement amorphes. Le réservoir est chargé sur le drone, juste au-dessus d’un cylindre creusé de petites cavités. Pendant le vol, le cylindre tourne sous le réservoir.
Quand une cavité se présente sous le réservoir, elle se remplit de moustiques. Le cylindre continue sa rotation et libère son stock de mâles stériles sur une sorte de plate-forme extérieure qui sert à la fois de salle de réveil et de zone de largage. En effet, grâce à la température ambiante (environ 30°C), les moustiques se réchauffent et sortent de leur léthargie. Leur esprit à peine retrouvé, les mouvements d’air font le reste en les précipitant dans le vide. La hauteur optimale du vol du drone a d’ailleurs été calculée – 50 mètres – pour être sûr que les insectes aient le temps de se réveiller complètement avant d’arriver au sol. Sinon, ils seraient exposés aux prédateurs et il y aurait beaucoup de pertes. Or, le but est bien d’avoir un maximum de mâles stériles pour perturber la reproduction.
Un GPS embarqué pour plus de précision
Cela exige aussi de larguer la bonne quantité, au bon moment et au bon endroit. Un ajustement précis est rendu possible par l’automatisation du drone. Lors de l’expérience de Carnaíba do Sertão, le drone devait couvrir une zone de 20 hectares. Grâce à son GPS embarqué, il était programmé pour suivre précisément des lignes imaginaires parallèles espacées de 80 mètres. Cet espacement permettait d’obtenir au sol une densité de moustiques homogène compte tenu du débit du largage. Si le drone s’écartent de ces lignes, le cylindre arrêtait automatiquement de tourner pour ne pas lâcher de mâles hors de la zone prévue
Selon le chercheur, les résultats ont été meilleurs que prévus. Alors que les scientifiques s’attendaient juste à définir les meilleures conditions de largage, notamment la bonne altitude pour atteindre une survie maximum des moustiques, tombés au bon endroit et avec une bonne densité au sol, répartis de façon homogène, ils ont très vite constaté un impact sur la reproduction. “Avec trois lâchers nous avons obtenu plus de 50% d’œufs stériles. C’est un excellent résultat”, assure le chercheur.
Des tests prévus en zone urbaine
L’Organisation mondiale de la santé a d’ailleurs prévu d’évaluer cette technique de l’insecte stérile sur les maladies dès 2021 à travers une étude épidémiologique qui devrait durer 2 à 4 ans. D’autres expériences sont aussi prévues en Chine, en Espagne, en Thaïlande et à Singapour. Certains de ces lâchers se feront d’ailleurs en zone urbaine, ce qui nécessite d’adapter le drone et la technique. L’appareil sera beaucoup plus petit et léger (900 grammes contre 12 kg).
Il transportera un peu moins de moustiques dans son réservoir (30 000 au lieu de 50 000). Et il sera programmé pour suivre un camion équipé d’une plate-forme d’atterrissage. Il pourra alors venir se poser pour remplacer sa batterie et sa cartouche de moustiques à larguer. Des tests devraient même être menés en France dans la région de Montpellier et à La Réunion dès l’année prochaine. Des essais très attendus car le moustique-tigre (l’espèce Aedes albopictus) a déjà conquis 58 départements et devrait poursuivre son invasion, aidé en cela par le réchauffement climatique. Or, en 2019, trois cas de Zika autochtones ont été détectés dans l’Hexagone. Cela signifie que les personnes ont été infectées par les moustiques installés sur le territoire. Une situation préoccupante, car à ce jour, la France ne dispose pas d’un plan bien défini pour lutter massivement contre l’invasion de ce moustique et une nouvelle épidémie que l’on aura pourtant vu venir.